Delphine Seyrig & Maria Schneider sur le tournage du film documentaire Sois belle et tais-toi - 1976 |
Delphine Seyrig est née au Liban en 1932. «Dans la plus belle lumière du monde», dit-elle. De l'enfance protestante, de la culture, du ciel rose du mont Liban et de Balbek sont venus l'intelligence de l'art et de la vie, la grâce austère du maintien, la loyauté absolue, le dégoût presque traumatique du mensonge, etc. Le reste, c'est elle seule. Mais «elle», qui c'est ? On a calculé qu'il faudrait des centaines de pages pour décrire rigoureusement le pas de l'homme, et dans ses causes musculaires, nerveuses, et dans ses efforts. Combien faudrait-il de pages pour décrire un sourire, un regard, l'inflexion d'une voix ? Mille ? Tout ce que je peux faire, c'est vous donner envie d'imaginer à votre guise la femme qui se nomme ainsi : Delphine Seyrig. [...]
Ce visage maigre - en dehors de toute mode - sur lequel est posé le sourire de l'humour universel, ou de l'intelligence - c'est pareil -, il est aussi imprévisible que celui d'une inconnue de la rue. Et cela, chaque fois qu'on la revoit. c'est ce qu'elle appelle varier. «Je ne crois pas aux "emplois ". On varie quand on peut varier... Ce qu'on appelle l'emploi, c'est une disponibilité entière. »
Nous en arrivons au dernier départage entre elle et les autres : la façon de parler : «On dit que j'ai une drôle de façon de parler, c'est bien vrai, j'ai une drôle de façon de parler, mais c'est ma façon de parler dans la vie.» C'est vrai : entre la comédienne et celle qui parle au petit garçon qui habite la maison, aucun décalage. Je trouve une image et je vous la donne : elle parle comme quelqu'un qui vient d'apprendre le français mais qui n'en aurait aucune habitude et qui éprouverait un plaisir extrême, physique, à le parler. On dirait qu'elle vient de finir de manger un fruit, que sa bouche en est encore tout humectée et que c'est dans cette fraîcheur, douce, aigre, verte, estivale que les mots se forment, et les phrases, et les discours, et qu'ils nous arrivent dans un rajeunissement unique.
Pour ma part, j'aurais pu l'engager sur sa seule voix au téléphone, sans la voir. Il y en a qui ne la supportent pas, de moins en moins à vrai dire. Il y en a d'autres qui en sont intoxiqués. Moi : avant qu'ils soient distribués «j'entends» tous mes textes lus par Delphine.
Cette voix irréaliste, cette ponctuation absolument imprévisible et qui va à l'encontre de toute règle, c'est aussi Delphine Seyrig. [...]
In «Outside», POL 1984. Première parution dans «Vogue», 1969.
— Marguerite Duras ( Libération du 17 octobre 1990 ).
documentaire réalisé par Callisto Mc Nulty