30 juillet 1977 ( samedi ). — Sur la route.
Quand je pense à la littérature, c'est comme à quelque chose qui se trouverait devant moi, un peu sur le côté, une masse indistincte qui attendrait, extérieure à mon approche comme à mon désir.
Mais elle est agressive dans son opacité, elle dit :
« Mais qu'est-ce que tu veux ?
Mais qu'est-ce que tu voulais ?
Mais qu'est-ce tu vas vouloir encore ? »
Quant à moi, j'ai choisi une fois pour toutes mon mode de réponse :
« Mais rien !
Je veux écrire sans phrase, je suis un homme sans réponse », etc.
Au fond, l'un de nous deux est de trop, l'un de nous deux n'a pas de parole.
La littérature est comme une encre de Michaux, un écheveau de gestes noirs en suspension. Et puis nous roulons, la route tourne beaucoup, nous dépassons un groupe de maisons ratatinées. Nous traversons en trombe un savon sombre, pluie douce et air de rien, dans un léger crissement dû à la vitesse, et je me dis que tout ça va très bien avec un horizon court, un voyage qui ne finira jamais, et cette boule obscure sur le côté qui fait l'intarissable.
_ Denis Roche, Temps profond
Essais de littérature arrêtée
1977-1984
Henri Michaux, Par la voie des rythmes - 1974 |