dimanche 14 août 2022

Journal d'été : illustration #03


les vérités - août 2022

Toutes les histoires sont des mensonges. Écoute-moi. Toutes les histoires qu'ils racontent. Celles qui disent que nous sommes mauvaises. Mensonge. Celles qui disent que nous sommes bonnes et belles comme l'argent que tous les hommes s'éprennent de nous à s'en jeter dans les bassins. Mensonge. Celles qui disent que nous sommes un mystère mystérieux. Mensonge. La plupart des hommes sont des menteurs. Les hommes qui inventent des histoires et ceux qui les racontent. Ceux qui nous découpent et nous pressent et nous mettent dans les mots pour que nous soyons comme l'histoire qu'ils veulent raconter, avec la morale qu'ils veulent raconter. Découpées et réduites et enserrées dans leurs toutes petites têtes. Minuscules et stupides, mais tout aussi méchantes. 
Blanca, ta mère, bougeait à la façon d'une oie et elle allait à droite et à gauche avec son ventre de plus en plus gros. Elle avait le ventre plein et dur comme un tambour et ses seins avaient gonflé et donneraient bientôt du lait. Comme par magie. Comme une magie pour de vrai, parce que de sa vulve allait sortir un enfant entier, avec tous ses ongles, avec des yeux et une langue, et ce serait toi. Une petit fille pleureuse et toute belle, parce qu'aux yeux des mères tous les enfants sont beaux et parce que toi tu serais vraiment belle. 
Blanca, ta mère, voulait de la compagnie. Avant. Et elle est allée chercher un homme. Et elle en a trouvé un. Elle a trouvé un homme fort qui travaillait dans les champs, avec de grosses mains habiles, la peau sombre comme la nuit et des yeux noir et jaune parce qu'il avait vu des choses tristes et vivait loin du pays où il était né. Et ils s'aimaient le soir, Blanca et ton père, toujours sous les arbres et sur l'herbe. Blanca mettait les mains sur sa poitrine, et il disait regarde, comme un papillon, dans une autre langue. Ta mère ne voulait pas sauver cet homme, après tant d'années à vouloir sauver des hommes. Elle ne voulait pas le ramener à la maison. Elle voulait seulement la semence, pour avoir une petit fille, brune comme une châtaigne. Pleine de rire et d'idées. Belle pour de vrai, parce qu'elle est faite de chair. De chair et d'os. Pas toute blanche et argentée comme un lys. Non. Elle est faite de chair pour de vrai. Tu peux la mordre ! Grrrarr.


                                                       _ Irene Solà, Je chante et la montagne danse
                                                            Extrait p.125/126 : Faire venir les petits 
                                                                          [Éditions du Seuil - 2022]