dimanche 23 février 2025

Pulsion et digression

c'est la nudité du son dans mon corps
et ce parfum : qu'est-ce que l'âme d'une langue ?
— puis-je encore sentir la vérité de son verbe ? 
tout dire tout entendre de l'authenticité d'être
la perception trompée les sentiments obstinés
l'intensité est sans espoir commun / le seul cri
la gorge en rigole sans la soif d'une chose vague
ne pas savoir trahir la source / ne rien prouver
la joie pure de flotter en haute mer
j'aime les voix incarnées 
aussi

je suis sourde
imperméable
mal voyante
inatteignable

aux discours
aux orgueils
aux artifices
multicolores

derrière les culottes baissées
le trompe-l'oeil les pourparlers
les mille facettes éblouissantes
tout ce qui parle — parle s'éclate retombe
s'étale vulgairement la bouche pleine de convoitise
mais seules des pieuvres ouvertes dans des flaques
un long enchaînement à leur mise en scène
leurs jets d'imposture et les éclaboussures
faire de soi un ersatz d'art entoilé
ce triste monde qui les regarde 
les lèvres sèches en éloge
dans la mare miroir

aussi
la respiration mystérieuse
les figures libres de ma poitrine 
dans le noir subtil je déconstruis
c'est la nudité du son dans mon corps
plus exaltante que la parole informe



jeudi 13 février 2025

Après tout, l'ouragan

 
                                                            anagramme



















ma place est là,
là où le langage n'a pas déformé la relation à l'autre 

parmi les loups noirs, la révolte des griffes sauvages — les vraies
dans l'invisibilité de leur cou.p.s, leur amour vif déchiré des toiles 
dans la poussière, les mâchoires blessées par le manque d'égards

s'il faut éclairer la patte, la forêt et l'intelligible
pour être femme ou farouche ou artiste
du monde abstrait et de l'air vicié
épistémè et je vous emporte !



dimanche 9 février 2025

Avec tumulte

j'écris sans bien savoir les définitions courantes
un vocabulaire encore embryonnaire, je suis à naître  
j'écris des lignes hachées, l'odeur musquée du doute
la solitude — mécanique, le retour de voix 
l'ici dans le sang, l'aujourd'hui très fort
le contraire de la puissance

et avec la passion l'amie véritable
le verbe se déroule jusqu'à la mort 
que vouloir de plus, que sentir ?                           
— la violence d'aimer, la caresse d'aimer
une histoire que l'espoir engendre
— le mensonge des mots, la vérité des mots
l'excès débordant des nuances
— la douleur du silence, le délice du silence
les pleurs et les rires de l'étonnement 

dans le sens du temps, son incertitude
je n'écris que des lettres inachevées



samedi 8 février 2025

Miroirs du temps : charnellement

 


                                                                     à Gaston Salvatore (1941-2015)
                                             écrivain chilien vivant en Allemagne, d'expression allemande
                                          

                                                                                                10 octobre 1971

    Cher Gaston,
    chacune des lettres a le pouvoir de me toucher. Qu'est-ce que cela ?
Je crains que là encore il n'y ait quelque piège émotionnel sicilien. Une chose est certaine : c'est que depuis que tu as quitté l'Italie ton italien - ça semble paradoxal - s'est tellement amélioré qu'il arrive même à me surprendre, moi qui, comme tu sais, ne suis que très rarement surprise. C'est comme si en plus du vocabulaire, mots, adjectifs, le « sens profond » de la langue était en train de s'affiner dans ta mémoire.


    Tout réside dans la mémoire, et tu es un homme de mémoire. Tu ne peux savoir comme m'a douloureusement frappée une phrase de l'une de tes lettres. Elle disait : je ne veux pas oublier. Et tu ne savais pas en la formulant que seul quelqu'un qui ne peut oublier dit : je ne veux pas oublier. Les autres oublient. C'est la même chose pour moi. Quelque chose d'autre m'a frappée dans tes lettres : une légère ironie, appartenant, elle,  plus au sicilien qu'à l'italien, qu'avant je ne décelais pas chez toi.


    Les sifflets t'ont amusé ? Cela me rappelle que Pirandello, lui aussi, que de fois Ercolino me l'a raconté, riait toujours quand la salle le sifflait. Tu le savais, je pense, que Pirandello, pendant des années et des années, n'a fait qu'être sifflé ici en Italie ? Bon. Ça ne se dément pas. Les choses nouvelles et belles, il faut les siffler. Il n'y a rien à faire. 


                                                                                                  novembre 1972
                                                                                    


                                                _ Goliarda Sapienza, Miroirs du temps
                                               (lettres et billets) lettres choisies par Angelo Pellegrino
                                                                            Ed. Le Tripode - trad. par N. Castagné


photographies
― 
Roubaix, février 2025

comme Iuzza
 et surprendre 
charnellement


                      

mercredi 5 février 2025

La femme aimée de l'étranger

 

                                                                             la nébuleuse


c'est terrifiant.

on lui apporte de nouveau de l'eau. elle baigne sa chute dans un grand bruit sourd. une source grave autre que sa voix. ce corps sonore court sur son corps libre. c'est le langage et l'intensité. parfois l'on voit si ardemment une image qu'elle devient à nos yeux ceux de l'étranger. des amants avec une même vision du côté du couchant. tout le monde contemple l'instant d'une attraction violente. à jamais. elle, mélange sa douceur, invisible, illisible à la clarté de l'eau. une demi-lumière qui lui vient du fond des yeux. elle ne voit pas elle ondule. le coeur bat. le coeur du tonnerre. des perceptions instables. le ballet aquatique semble parler. mais, elle, elle ne peut dire à cet instant si elle vit ou si elle perd l'acuité du visage de l'étranger.



samedi 1 février 2025

L'adieu impossible

                                                       la résistance - son écriture

j'ai pressenti les mouvements impitoyables
ce que les doigts tachés déchirent par plaisir
rire pour soi-même quand les pensées s'égarent
le ciel nerveux dans la gorge et tout glissant
d'un brusque silence au loin le tapage en soi
répéter les consonnes avec la pudeur des lèvres
corail brouillé dissolu par les remous des lettres 
j'ai tenu une vieille histoire avec le bout de ma langue
sans jamais vider le bleu du ciel avancé entre nous
nous - l'entrebaillûre infinie de ton être à mon bord
et re.voir le commencement comme un trésor

par un fatal hasard le vent a frappé à l'inexplicable
et autour de nous souffle toujours
une douce vérité




mercredi 29 janvier 2025

Jeu à l'aveugle

                                                  La Madeleine M. autoportrait

 

je redeviens le souvenir en miniature, l'initiative
dans la petite chambre noire où les images bougent sans objet
les mots imprimés dans l'épaisseur de mon corps — mon aile s'ouvre
sur les fines parois, une buée vient et disparait comme un croc réfléchi
je discerne le chemin de l'eau, un rien calme au fond de la chambre
entre la vision et ma quiétude, il y a une tâche de lumière
les sensations éparpillées, je respire le fou - tour à tour 



samedi 18 janvier 2025

La subtilité de la faiblesse


                                            l'étreinte

chercher l'air sur la peau / sentir le visage tiède entre les mains / attraper les aurores de la vie / révéler la clarté des épaules / dénuder des petits grains de folie sur le vieux tapis effrangé / entrelacer l'étonnement à l'onde noire /  mourir à soi-même / sans réfléchir sortir du feuillage des mots / trembler comme un oiseau / grogner d'instinct comme l'animal / battre du coeur dans un silence rouge / l'horizon évanoui / la bouche agile toujours plus douce / embrasser l'acte véritable / dans un monde où nous pressentons à peine le contact irremplaçable / te connaître dans ma peau / fragilité d'une équivoque / la phrase close fatale / et le parfum du corps délimité / entendement / à quoi penses-tu quand ma liberté t'est profonde ? 



dimanche 5 janvier 2025

Est-ce que l'eau est plus profonde que le secret ?

 

                                                                    profondeur de nuit

Ce besoin de pénétrer, d'aller à l'intérieur des choses,
à l'intérieur des êtres, est une séduction de l'intuition de la chaleur intime.
Où l'oeil ne va pas, où la main n'entre pas, la chaleur s'insinue.

_ Gaston Bachelard, La psychanalyse du feu
                   [Le complexe de Novalis]


— dans la passion —

                                                                     le départ du train

l'odeur de la Nuit passe de lieu en lieu, elle mêle l'avant et l'après des phénomènes pour t'emporter. Je ne sais plus si elle est un bien, si après le passage, elle reste la lumière intuitive au centre du corps. Au revoir pour te revenir, au revoir le mélange des sentiments. Je caresse le rêve d'une forme crue, je me dévore moi-même en mon lieu décrié. C'est toi la Nuit et pour la Nuit ultime, c'est une odeur de flamme humaine. Murmures, soupir et l'eau de l'imagination. Je suis venue te donner l'horizon avec la douceur annoncée de l'expérience, au revoir l'absence de paroles. En une manoeuvre mystérieuse, j'emprunte au train le sifflement d'une douceur. Suis-je le frottement du féminin et du masculin, un battement de vagues, la dénudation de tes contradictions des pieds à la tête ?

 
                                                                    loger le sentiment


Et puisqu'il faut disparaître, puisque la Nuit est la lumière de l'aurore — tu descends sous mes lèvres, soufflée toujours absente et silencieuse. Au fond de l'eau du feu, tu caches la poésie des voiles niant la folie, la vapeur, l'espoir de dilatation. Je suis dans l'euphorie de l'éther, dans les arts du feu que la vie mortelle a créés. Et j'ouvre les yeux sur le secret, la Nuit de ton océan salé. Là sans voir, je ne peux qu'être intime, les tentations brûlantes sous la langue. 


                                                                            de l'intuition