la paresse m'arrive
je la vois s'approcher de ma nuque
avec grâce et tension légère soulever la nature compacte de mes cheveux
— est-elle immense et fantastique ? —
je la sens faire le tour des failles d'un territoire
dérouler l'esprit du terrain vague
elle ne perd aucune parcelle du spectacle de l'étrange
elle invente une trajectoire dans la nuit de mon aspiration
la lumière jaillit sur un lambeau de chair
la voilà en cadeau délimité son désir empoigné au mien
la voici qui prend tout le corps
◊
20. UN COEUR EN RODAGE
(En manière de récit de voyage.)
Ce regard à travers la fenêtre, regard droit, volontaire, qui ne voit ni les toits ni les arbres, ni le ciel, ni les chemins en bas, ce regard qui s'envole comme une première flèche, comme un répit dans la détresse, qu'est-il d'autre que le désir de s'enfuir vers le vaste monde ? Ce rêve du monde, blotti au fond de nos coeurs, n'a que peu de rapports avec le monde réel. Là, on n'y trouve ni maisons, ni rues, ni chemins de fer, ni hommes, ni êtres animés, ni épluchures jonchant les rues, ni torchons séchant aux fenêtres : rien de ce que l'oeil humain pourrait percevoir. Il n'y règne que l'inconnu, hors d'atteinte, par-delà l'horizon, quelque chose de si étonnant et de si fantastique, de si fort et de si neuf, qu'aucun chagrin ne lui résiste et qu'il balaie toute hésitation : de quoi combler un coeur vacant. Des terres fertiles d'où pourraient s'ouvrir des voies nouvelles. Fermer la porte sur tout ce qui est ici et recommencer là-bas. Recommencer à zéro, à partir de cette semelle qui vient de se trouer, de la soupe de midi, de l'oreiller sous la tête ; ici tout s'effondre, là-bas il existe une chance de salut. C'est à peu près ce qu'imaginait mon coeur, un soir que j'étais penchée à la fenêtre, en cette lisière de saison hésitant entre l'été et l'automne. Soudain, je ne pensai plus à rien d'autre que ces mots : partir, partir, partir ; je fis taire tout le reste ne répétant qu'une seule chose en des milliers de faux plis, entassant pêle-mêle mes sentiments dans les valises. Et, au matin, je me suis retrouvée dans la fraîcheur grise de la rue, tirant des larmes de mes yeux ensommeillés, avec un baluchon si étrangement lourd que je pouvais à peine le porter. Partir à travers le monde. Pour quelques jours. Voir de nouveaux ponts, des bâtiments, des pays, des arbres, la mer. Voir à neuf et encore à neuf. Le neuf et le lointain, voilà me devise. Et, soudain, un sursaut de joie renversant ces montagnes de détresse qui m'étouffaient.
Extrait de textes réunis et présentés par Dorothea Rein
Traduits du Tchèque par Claudia Ancelot
Éditions Cambourakis
[sans titre - le sourire du risque]
― Roubaix, mars 2025