mercredi 14 août 2024

S'écrire pour te rencontrer │Autobiogriffures


                                                 sans titre [Sunday] 2019

C'est en marchant que j'écris, avant que la main fasse l'inscription. 
Je marche comme les chats hors des maisons, ou plus précisément comme ceux qui n'ont pas d'intérieur défini. La maison, le chat et cette solitude croisée entre l'animal et ce que je suis.

J'écris le pas vif.
Je longe les rues vers ma correspondance.
Je sens les formes extérieures à mon animalité.
J'ai la mémoire fidèle des lieux, des visages, des livres.

Souvent, dans la marche, j'y laisse mon affection.
Et ces rencontres inévitables écrites par le monde imaginaire,
un simple fait par le regard et les pas.
Et je t'écris, toi que j'ai rencontré dans le délimité terrestre du corps.




La photographie de Sunday a été réalisée le vendredi 09 août 2019. 
Sans que je la cherche, ni quoi que ce soit par ailleurs, je la re-trouve ce matin, signifiante. 

Il y a eu des joies venues au monde et brusquement, il y a l'eau dans la gorge.

Comment pourrais-je ne pas penser que toute matière vivante est une profonde coïncidence. 
Au jeu des re-trouvailles presque simultanées, enveloppé dans un pliage de papier brun, tombe du bord de la bibliothèque, le livre de Sarah Kofman "Autobiogriffures - Du chat Murr d'Hoffmann"
© 1984, Éditions Galilée


Voici les premières lignes du chapitre Une écriture de chat :

   Ecrire comme un chat... écrire de façon illisible, noircir, sans soin, le papier, mal former ses lettres, griffonner. Ecriture du chat ? Indéchiffrable.
   Et si un chat se mêlait d'écrire, aspirait à être, non un griffonneur ou un griffonnier, mais un véritable écrivain ? Nul ne pourrait le lire ? Mais voudrait-on le lire ? Les signes de son écriture, illisibles, ne seraient pas considérés comme des hiéroglyphes, traduisibles, éventuellement, par un lecteur averti qui en détiendrait le code ; ils ne seraient pas tenus pour des signes, fussent-ils incompréhensibles, mais dédaignés, telles de simples tâches d'encre dépourvues de sens (si ce n'est celui, comme dans les tests de Rorschach, projeté par le lecteur). Une écriture de chat, prise à la lettre, n'est pas seulement indéchiffrable, elle n'a pas à être déchiffrée : elle n'est pas écriture. Un chat ne saurait 
«écrire comme un chat» : il ne saurait écrire : écriture, propre de l'homme.
   Un certain ethnocentrisme «refuse le nom d'écriture à certaines techniques de consignation», admet l'existence de peuples «sans écriture», «sans histoire», auxquels il refuse le nom d'homme (1). A fortiori ne saurait-on admettre chez l'animal, une certaine disposition à l'écriture, une certaine disposition à acquérir une certaine écriture. Mais si ce n'était là que préjugé ? Si les pattes de mouche du chat étaient des hiéroglyples (2) ? Le chat n'était-il pas animal sacré en Egypte, pays où Teuth inventa l'écrirture (1.1) ?
   Force d'un tel préjugé motivé par de puissants intérêts : est en question fondamentalement «le nom de l'homme», l'unité de ce concept et, ce qui fait système avec le «propre» de l'homme, sa divination, son élection particulière, sa maîtrise de l'univers.
   D'où la puissance subversive de la fiction suivante : imaginer qu'un chat puisse écrire, ait même l'ambition de devenir écrivain. Tel est le chat Murr, mis en scène par Hoffman dans les Considérations sur la vie du Chat Murr (2.1). Fiction dont l'enjeu est à examiner de près...


(1) Cf. Jacques Derrida, De la Grammatologie, de la grammatologie comme science positive, pp.124 et sq. et Leroi-Gourhan, L'Outil et la parole, cité par Derrida.

(2) Telle était l'hypothèse de l'abbé Galiani qui dans une lettre à Mme d'Epinay écrit qu'il avait reconnu pas moins de vingt inflexions dans les miaulements des chats, qu'ils employaient toujours les mêmes sons pour exprimer les mêmes voeux, et qu'enfin leur parler, soumis à des règles comme celui des hommes, méritait d'être déchiffré par les savants ni plus ni moins que les hiéroglyphes. Cf. de la Robrie, Galerie des chats illustres (1971) 

(1.1) En Egypte le chat est bienfaiteur et protecteur de l'homme. Il est assimilé à la lune. On trouve, sur les papyrus, des chats tranchant la tête des serpents, symbole de la lutte de la lumière contre les ténèbres. C'est ce caractère sacré du chat qui permit à Cambyse de mettre en déroute les Egyptiens.

(2.1) N.R.F traduction A. Béguin. Nous modifions parfois la traduction comme ici; Béguin ne traduit pas Lebensansichten pourtant essentiel. D'autres « censures » seront signalées.


                                                                      affinité